60.
Nogait et Amayelle
Les Chevaliers convergèrent vers la salle royale où le cortège des dignitaires, Émeraude Ier et Hamil les attendaient. Ils s’entassèrent devant les monarques, vêtus de leurs armures. Tous y étaient, sauf Kira et Amayelle. Wellan les chercha avec son esprit. Il les repéra finalement dans le grand escalier. Les deux jeunes femmes longèrent le couloir et entrèrent dans la salle éclairée par de nombreux flambeaux. Kira laissa la princesse continuer seule jusqu’au trône pendant qu’elle rejoignait Sage parmi ses compagnons.
— Tes petits œufs te font dire bonsoir, murmura-t-elle à son oreille.
« Impossible de me venger de sa moquerie devant toute cette belle assemblée », déplora Sage. Elle se tint tranquille pendant la cérémonie et fut tout émue lorsque le Roi Hamil présenta lui-même la main d’Amayelle à son nouvel époux.
— Tu n’aurais probablement pas aimé que le père insecte de Kira fasse la même chose lors de ton mariage, souffla Kevin à Sage.
L’image d’Amecareth lui lançant Kira dans les bras fit sourire l’Espéritien, mais provoqua la colère de son épouse qui tenta d’atteindre Kevin avec ses griffes. Son mari lui saisit la main au vol pour l’en empêcher.
Les trois Elfes assistèrent au festin. Ils furent bien surpris de la quantité de nourriture que les serviteurs déposèrent sur les tables. Leur étonnement s’accrut encore lorsque des musiciens jouèrent des airs allègres sur leurs flûtes et leurs harpes et que les Chevaliers se mirent à danser. « Le choc de deux cultures », pensa Wellan en les observant de sa table.
Assis l’un près de l’autre, les jeunes époux ne mangeaient pas. Ils se chuchotaient mutuellement de douces paroles, comme des tourtereaux. Ce soir-là, il devint évident, pour la délégation des Elfes, qu’ils s’aimaient profondément. Après une longue nuit de réjouissances, les convives se retirèrent dans leurs appartements et le Roi Hamil accepta l’hospitalité d’Émeraude Ier.
Puisque la mariée était de sang royal, les deux monarques décidèrent qu’elle occuperait des appartements dignes de son rang dans le palais, plutôt que de partager la sobre chambre du Chevalier. Nogait guida donc Amayelle dans le long couloir jusqu’à la porte de leur nid d’amour. Il la souleva dans ses bras en l’embrassant et la transporta jusqu’à leur grand lit coiffé d’un baldaquin de voile diaphane.
— Nous sommes unis pour toujours, anyeth, susurra Amayelle en frottant le bout de son nez sur l’oreille du soldat.
— Et je suis le plus heureux des hommes.
Elle l’aida à détacher les courroies de sa cuirasse et à enlever ses vêtements. De son côté, il délaça patiemment le fil d’or de sa robe blanche tandis qu’elle fredonnait dans sa langue si mélodieuse.
— Demain, j’aurai une surprise pour toi, déclara-t-elle entre deux baisers.
— Demain…
Nogait la renversa sur le lit, incapable de maîtriser plus longtemps les pulsions de son corps.
Les visiteurs des forêts ne repartirent qu’à la fin de la journée suivante. Wellan leur offrit de les ramener rapidement au Royaume des Elfes en utilisant sa magie. Il promit à Bridgess de rentrer avant la nuit. Jenifael tempêta lorsqu’elle vit son père entrer dans le tourbillon avec les Elfes et éclata en sanglots lorsqu’il se dissipa. Bridgess la ramena dans le palais pour la calmer.
Dès que le Roi Hamil eut quitté le Royaume d’Émeraude, Amayelle entraîna Nogait sur le pont-levis, puis sur la route de campagne qui menait vers les villages et la rivière Wawki. Ils marchèrent pendant un moment en admirant les bandes de nuages qui s’allongeaient sur un ciel orangé.
— Pourquoi m’as-tu emmené jusqu’ici ? demanda le Chevalier, plus étonné qu’inquiet.
— Pour t’apprendre quelque chose que tu sembles bien être le seul à ne pas savoir. Mon père l’a mentionné à quelques reprises hier, mais tu n’as pas porté attention à ses paroles.
Nogait savait bien qu’il était le plus distrait de tous les Chevaliers d’Émeraude, mais lorsqu’on parlait d’Amayelle, il faisait pourtant de gros efforts pour ne pas laisser errer son esprit. Devant sa mine déconfite, la jeune épouse ne put que sourire. Les Elfes captaient absolument tout ce qui se passait autour d’eux. Elle devrait donc s’habituer aux humains et à leur insouciance.
Elle prit la main de Nogait et l’appuya doucement sur son ventre en le regardant droit dans les yeux. Le Chevalier ressentit tout de suite l’étincelle de vie qui y remuait. Pourquoi ne l’avait-il pas décelé avant ?
— C’est tout récent, assura Amayelle, rayonnante.
— Est-ce pour cette raison que tu as repoussé Elbeni ?
— Mais non, Nogait ! réfuta-t-elle avec découragement. Même si nous n’avions pas conçu cet enfant, je n’aurais pas accepté de l’épouser, parce que c’est toi que j’aime !
Rassuré, il l’enlaça et savoura son bonheur en silence, de peur de mal exprimer ses sentiments s’il ouvrait la bouche. Elle se blottit contre lui en se promettant d’en apprendre davantage sur sa race avant la naissance de leur fils, car elle voulait qu’il soit élevé selon les coutumes de ses deux parents.